Les appareils de mammographie sont-ils tous de qualité équivalente ?
La France compte environ 2 300 appareils, dont 400 installations analogiques, qui ne cessent de se réduire, et 1 900 appareils numériques.
Il en existe deux types :
- les systèmes dits "DR" (environ 36 %), en augmentation,
- les appareils dits "CR" (environ 64 % des installations numériques).
Une alerte avait été lancée fin 2009 sur une moindre détection des cancers du sein avec les appareils numériques de type CR. Les taux de détection des cancers varient en effet de 3,6 à 7,7 pour mille en fonction des types d'appareils et des marques, selon une étude réalisée par l'Institut national du cancer (INCa). "C'est préoccupant de constater de telles différences", a lancé mardi Brigitte Séradour, radiologue qui a piloté la politique de dépistage en France.
SURDIAGNOSTIC
Une enquête de l'INCa réalisée en juillet 2010 avait alors montré que le taux de détection était de 5,41 pour mille pour les appareils analogiques, 6,5 pour mille pour les numériques DR et 5,24 pour mille pour les CR. Par conséquent, le ministère de la santé a décidé de relever le niveau de qualité des appareils dits "CR", notamment pour la dose de rayons X délivrée et le seuil de visibilité du contraste, indique une note de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
"Les taux de détection se sont resserrés, mais restent hétérogènes selon les marques et les plaques", estime Jérôme Viguier, directeur du pôle santé publique et soins à l'INCa.
"Un nouveau référentiel de contrôle de qualité va être mis en place avec une exigence plus élevée que celui qui est développé en Europe", explique Nicolas Thévenet, directeur des dispositifs médicaux à l'ANSM. Ces nouveaux contrôles vont démarrer mi-avril et devront être terminés en septembre. Mais certains constructeurs contestent la fiabilité de ces outils de contrôle. "On souhaite qu'ils soient irréprochables, ce qui n'est pas le cas", explique Jean-Pierre Smadja, directeur général délégué de Fujifilm Medical Systems France, leader du marché des appareils numériques, qui a adressé un recours gracieux à l'ANSM. Que va-t-il se passer ? "On peut s'attendre à l'arrêt de certaines machines", prévoit M. Thévenet.
Ces batailles risquent de semer un peu plus le trouble sur ce sujet déjà très controversé. L'association UFC-Que choisir avait relancé le débat en octobre 2012 en dénonçant les diagnostics erronés et les traitements inutiles, et avait réclamé le réexamen des données scientifiques. L'association de médecins généralistes Formindep pour une formation médicale indépendante remet en question l'intérêt du dépistage organisé. La revue Prescrire a primé début octobre 2012 le livre Mammography Screening, Truth, Lies and Controversy (Radcliffe Publishing Ltd, en anglais), du Danois Peter Gotzsche, qui considère que le dépistage présente plus d'inconvénients que d'avantages, avec un risque élevé de traitements inutiles.
L'un des inconvénients du dépistage organisé est le surdiagnostic, c'est-à-dire la détection de tumeurs (souvent préinvasives) qui n'évolueraient pas forcément vers la maladie. Mais là aussi il y a bataille de chiffres. Le taux de surdiagnostic serait de 5 % à 10 %, mais certaines études l'évaluent à 40 %.
Autre question : le dépistage réduit-il la mortalité ?
Là encore, les experts sont divisés. Une étude parue dans The Lancet fin 2012, menée, à la demande de Mike Richards, directeur de l'Institut du cancer britannique, par un groupe d'experts indépendants conduit par le professeur Michael Marmot, a passé en revue une douzaine d'études européennes et américaines. Il ressort "une réduction de 20 % de la mortalité chez les femmes invitées à participer à un programme de dépistage organisé" par rapport aux femmes qui n'ont pas bénéficié de dépistage. Un bémol, toutes les études incluses dans l'analyse reposent sur des données anciennes - au moins vingt ans. Le surdiagnostic est évalué à 19 %.
TRAITEMENTS INUTILES
"On n'a pas aujourd'hui de tests fiables qui permettent de reconnaître les cas de ces cancers de moins de 10 mm qui ne vont pas évoluer", affirme le docteur Séradour. Plus on détecte tôt, plus les chances de guérison sont grandes, moins les traitements sont lourds, martèlent les médecins. L'idée est d'éviter les traitements inutiles : ablation du sein, chimiothérapies, radiothérapies, etc. L'INCa, qui mène des travaux dans ce sens, a publié un article sur son site, "Limites et incertitudes sur le dépistage". "L'INCa ne découvre pas cette problématique", insiste M. Viguier. Des chercheurs travaillent actuellement sur l'identification de marqueurs moléculaires pour détecter les cancers évolutifs, majoritaires, et les cancers "indolents". L'idée est aussi de mettre en place un dépistage plus ciblé en fonction des facteurs de risque, avec des stratégies le plus individualisées possible.
Autre risque redouté : le cancer radio-induit, conséquence de l'irradiation reçue lors d'examens ou de traitements utilisant des rayons. Une étude avait interpellé fin 2011 sur le risque des mammographies répétées avant 50 ans, période où le sein est plus dense et nécessite donc une plus forte dose d'irradiation pour obtenir une image lisible, indique l'INCa. Ainsi, en l'absence de symptômes et de facteurs de risques, il n'y a pas d'indication à se faire dépister avant l'âge de 50 ans. Ce risque de cancer radio-induit est toutefois considéré par l'INCa comme "très faible".
Dans tous les cas, insiste Françoise Pinto, de l'association Europe Donna : "Les femmes veulent des informations claires et des recommandations apaisées ."
http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/02/21/cancer-du-sein-depistage-inegal-selon-les-appareils_1836593_1650684.html