Dimanche 6 mai, à quelques heures de la défaite de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant a fait publier au Journal officiel le décret permettant la création du TPJ. Acronyme de "traitement de procédures judiciaires", le TPJ est un super-fichier, qui fusionnera, d'ici fin 2013, le STIC (système de traitement des infractions constatées de la police nationale) et le Judex (système judiciaire de documentation et d'exploitation de la gendarmerie nationale).
Qu'est-ce que le TPJ ?
Ce fichier listera toutes les personnes soupçonnées de crimes, de délits et des contraventions les plus graves. Plus avant, il listera de même leurs victimes présumées. Pour les victimes, la durée de conservation des données sera "au maximum de 15 ans". Pour les personnes soupçonnées, les données seront conservées de 5 à 40 ans pour les infractions les plus graves.
- Nom,
- Prénom,
- État civil,
- Date et lieu de naissance...
Les civilités "classiques" seront répertoriées dans les fichiers, mais pas seulement. Les fichiers pourront également mentionner :
- les origines raciales ou ethniques,
- les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, l'appartenance syndicale,
- ou des données relatives à la santé ou à la vie sexuelle.
Ces données ne pourront être mentionnées en principe qu'à deux conditions.
- Elles devront être liées à la nature, ou aux circonstances, de l'infraction
- être nécessaires à l'identification des responsables.
Autre évolution, le TPJ va permettre la comparaison automatisée de photographies, grâce aux nouvelles technologies biométriques.
A quoi sert ce type de fichier ?
Le TPJ se veut un nouvel outil pour exploiter, analyser et comparer des informations. Il sera employé en premier lieu dans la lutte contre la criminalité. Les personnes autorisées pourront interroger la base de données selon de nombreux critères : photographie du visage, signalement, mode opératoire, mobile, nature de l'infraction, date et lieu des faits...
Mais le fichier pourra également être consulté dans le cadre d'enquêtes administratives préalables à "une décision de recrutement (...) concernant certains emplois, à l'occasion de demandes d'acquisition de la nationalité française et de délivrance de titres de séjour ou lors de missions des forces de l'ordre comportant un risque d'atteinte à l'ordre public", souligne la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
Qui aura accès à ce fichier ?
Selon le décret, "toute personne individuellement désignée et spécialement habilitée" pourra avoir accès à ces fichiers. Ces personnes se recruteront principalement parmi les fonctionnaires de la police, de la gendarmerie et des douanes. Les magistrats du parquet et les agents des services judiciaires sont également concernés. Et il en sera de même, sous certaines conditions, pour les polices étrangères. Comme garde-fou, le décret précise toutefois que l'identité de la personne consultant le fichier sera enregistrée et conservée pendant cinq ans.
Quels sont les principaux reproches adressés à ce type de fichier ?
La CNIL a été consultée sur ce décret. Elle a émis à cette occasion de nombreuses réserves. En premier lieu, elle s'est émue des délais d'archivage largement supérieurs aux délais de prescription et rappelle la notion de "droit à l'oubli".
Elle redoute également que le fichier soit truffé d'erreurs. Lors des contrôles qu'ils avaient effectués sur le STIC entre 2007 et 2008, les membres de la CNIL avaient relevé tellement d'inexactitudes et de dysfonctionnements qu'ils avaient rédigé un rapport au premier ministre. La CNIL avait notamment dénoncé le manque de communication entre les services judiciaires et les services de police. Dans le cadre du TPJ, les personnes pourront demander au procureur de la République la rectification et la mise à jour des informations les concernant.
"Il est impossible de garantir que le fichier ne contiendra pas d'erreur", estime Marc Rees, journaliste à PCInpact. "D'autant que la fusion du STIC et du Judex est techniquement très compliquée, renchérit Jean-Marc Manach, journaliste spécialiste de l'impact des technologies de l'information sur la société et la protection de la vie privée. Ce fichier est une véritable usine à gaz !"
Mais ce sont les possibles dérives dans l'usage des fichiers qui soulèvent le plus d'interrogations et de craintes. "Il n'est pas exclu que des contrôles soient effectués de manière abusive, par exemple, sur des personnes postulant à des postes sensibles", estime Marc Rees. Pour Laurent Mucchielli, sociologue et auteur du site Délinquance, justice et autres questions de société, "ce sont les fuites de certaines informations qui sont à craindre".
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