Halte à la pollution lumineuse, c'est l'heure de l'extinction des feux. Depuis le 2 avril, la ville de Ballancourt (Essonne) se retrouve dans une obscurité complète passé minuit. Les 1 300 lampadaires se rallument avant les premières lueurs du jour, à 5 heures. Dans la foulée de 5 000 autres communes, cette ville de 7 400 habitants expérimente pendant six mois la coupure de l'éclairage public la nuit. Une mesure économiquement et écologiquement avantageuse, qui fait néanmoins débat au sein de la population.
A l'origine de cette décision, la volonté de réduire les nuisances lumineuses, objectif du Grenelle de l'environnement. "Jusqu'à présent, les villes considéraient l'éclairage comme un acquis, signe de progrès. Aujourd'hui, l'on commence à prendre conscience que la lumière a un coût, économique et énergétique, et des conséquences sur le vivant", explique Anne-Marie Ducroux, présidente de l'Association nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturne (Anpcen), qui milite depuis quinze ans pour réduire l'intensité lumineuse des villes.
"L'augmentation continue de la lumière, en entraînant une rupture de l'alternance jour-nuit, a un impact sur la faune et la santé humaine, comme le déplacement et la reproduction des animaux ou le sommeil des hommes et la récupération de leurs défenses immunitaires", poursuit-elle.
UNE FACTURE ÉNERGÉTIQUE RÉDUITE DE 30 %
Mais si l'expérimentation tente les élus, c'est surtout pour réduire la facture énergétique, en temps de crise économique. Car l'éclairage public des collectivités représente près de la moitié de leurs dépenses d'électricité, selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
"L'an dernier, notre budget éclairage a bondi de 70 000 à 100 000 euros, en raison du raccordement de nouveaux lotissements et des taxes qui ont augmenté, explique Jacques Mione, premier adjoint au maire de Ballancourt. En coupant les lampadaires pendant 5 heures, nous avons réduit la facture de 30 %." Une économie non négligeable pour les communes de petite taille.
UN SENTIMENT D'INSÉCURITÉ ACCRU
Le couvre-feu n'a toutefois pas été du goût de tous. Ces dernières semaines, l'opposition a mené une opération visant à demander le rétablissement de l'éclairage public et remis une pétition de 700 signatures lors du conseil municipal, lundi 2 juillet, raconte Le Parisien. L'objet du mécontentement : le sentiment d'insécurité né de l'absence de lumière dans les rues.
"Il existe une anxiété des habitants, mais pas une insécurité réelle", tempère Jacques Mione. Si la période de temps est trop courte pour produire des statistiques pertinentes, les chiffres de la gendarmerie sur les délits commis au milieu de la nuit pour les mois d'avril à juin tendent au contraire à démontrer une baisse des cambriolages et vols de voitures entre 2011 et 2012. "Nous ferons le point en octobre, à la fin de l'expérimentation, et nous verrons si les habitants se sont habitués à l'absence de lumière la nuit", conclut l'adjoint au maire.
ÉCLAIRAGE PARTIEL
"L'enjeu n'est pas de basculer dans le noir complet à tout prix, prévient Anne-Marie Ducroux. Il s'agit plutôt de s'interroger sur la pertinence d'éclairer certains endroits. Un éclairage partiel peut être la solution, soit géographique, soit temporel. Et il ne demande aucun investissement financier."
D'autres communes ont opté pour des dispositifs plus sophistiqués. A Lyon, par exemple, certains quartiers ont développé l'éclairage à distance et installé des détecteurs de présence. D'autres villes, comme Préfailles (Loire-Atlantique), testent plusieurs systèmes d'éclairage à la carte, comme l'extinction de deux candélabres sur trois dans certains îlots d'habitation ou un système d'éclairage des luminaires en moins de trois secondes sur simple appel d'un numéro gratuit.
Mais tout cela a un coût, surtout pour les petites communes. Pour soutenir leurs efforts, l'Ademe a dégagé, en février, une subvention de 20 millions d'euros destinée aux 32 000 communes de moins de 2 000 habitants qui souhaitent entreprendre des travaux pour réduire leur consommation d'électricité et la pollution lumineuse.
"Plus de la moitié du parc actuel, qui représente 9 millions de lampes, est composée de matériels obsolètes et énergivores : 40 % des luminaires en service ont plus de 25 ans, et un tiers du parc héberge des lampes à vapeur de mercure, la moins efficace des sources d'éclairage public, explique l'Ademe. Le potentiel de réduction de la consommation d'énergie est de 50 à 75 %."
http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/07/03/doit-on-couper-l-eclairage-public-de-nuit_1728446_3244.html