http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/10/26/les-nouvelles-pratiques-de-pelerinage-des-musulmans-de-france_1781289_3224.html
Quelque 2,5 millions de fidèles en pèlerinage à La Mecque ont entamé, vendredi 26 octobre, le rituel de lapidation de Satan, au premier jour de l'Aïd Al-Adha, la fête du sacrifice célébrée par les musulmans dans le monde entier.
Le "Hajj", l'un des cinq piliers de l'islam que tout fidèle est censé accomplir au moins une fois dans sa vie s'il en a les moyens, a débuté mercredi pour cinq jours.
Parmi les fidèles du monde entier qui ont convergé vers les lieux saints de l'islam situés en Arabie saoudite, se trouvent un nombre croissant de Français de confession musulmane. Omar Saghi, politologue auteur de Paris - La Mecque. Sociologie du pélerinage (Editions PUF, 2010, 284 pages, 25 euros) décrypte les nouvelles pratiques de pèlerinage des musulmans de France et notamment des nouvelles générations.
En France, combien de musulmans font le pèlerinage à La Mecque et qui sont-ils ?
Les musulmans de France sont de 20 à 30 000 à partir chaque année en pèlerinage, ce qui est beaucoup. Depuis les années 1980, l'Arabie saoudite impose à chaque pays un quota de 1 000 visas par million de croyants. Ainsi, en Algérie et au Maroc, le quota est de l'ordre de 35 000 environ. En France, il n'y a pas de quota, donc le nombre de pèlerins est cinq fois supérieur au ratio imposé par quota.
Le profil des pèlerins est quasi-paritaire. Près de la moitié des pèlerins étant des femmes. Une partie des pèlerins se compose traditionnellement de retraités des trente glorieuses, appartenant à la communauté franco-maghrébine. Mais, aujourd'hui, il y a relativement beaucoup de jeunes, de trentenaires qui travaillent dans le tertiaire et prennent des vacances pour aller au pèlerinage.
C'est un profil générationnel particulier, la génération des 30–50 ans qui s'est construite en dehors du rattachement au pays d'origine. Ils n'en parlent plus la langue. Ils se sont enrichis, travaillent, ont leur propre manière de chercher un ancrage identitaire. Les jeunes y vont quasi-systématiquement en couple et font parfois à La Mecque, en dehors de la période de pèlerinage, leur lune de miel. On observe ainsi l'apparition de classes moyennes qui ont un usage du pèlerinage qui n'existait pas avant.
Quelles nouvelles pratiques introduisent dans le pèlerinage ?
Cette nouvelle génération de pèlerins invente une consommation identitaire propre, qui s'apparente à du tourisme culturel même si eux ne présentent pas les choses ainsi. Ils introduisent dans le pèlerinage des pratiques touristiques qui ne sont plus les mêmes concernant le mode de déplacement, les services. Habitués à prendre l'avion et à voyager, ils veulent des services d'une certaine qualité.
Certains y retournent tous les ans. Une majorité y retourne régulièrement alors que l'usage veut que le pèlerinage soit une pratique de fin de vie. Ces pèlerinages de fin de vie sont généralement étalés sur 3, 4 semaines. La nouvelle génération de pèlerins français a elle une pratique compulsive, avec un temps de pèlerinage souvent ramené à quelques jours. Cela conduit à une banalisation du pèlerinage. La population de pèlerins français ne se renouvelle donc pas beaucoup à la différence des autres pays musulmans.
Il y a en conséquence un bouleversement dans le marché du pèlerinage. Les agences doivent fidéliser les pèlerins car ils comparent désormais les offres. Cela entraîne une spécialisation des agences sur la vente de séjours pour le pèlerinage à La Mecque. Des grands groupes arrivent sur ce marché. Ces agences sont par ailleurs plus présentes pendant le pèlerinage. Elles gèrent les groupes de pèlerins comme des groupes de touristes, avec des guides qui accompagnent les pèlerins pendant toute la durée du séjour.
Ces nouvelles pratiques sont-elles circonscrites aux pèlerins français ?
Les musulmans de France représentent la tête chercheuse de ce qui se passe dans les pays d'origine et que l'on commence à observer dans certains pays musulmans émergents comme l'Egypte, le Maroc, l'Indonésie notamment. On y voit l'apparition d'une classe moyenne urbaine conservatrice qui gagne bien sa vie, qui aime consommer et qui cherche un ancrage identitaire. Le pèlerinage devient une expérience touristique. En Egypte, le "quick-Hajj" ("pèlerinage express") devient également à la mode au sein de la bourgeoisie.
L'Arabie saoudite leur offre désormais la possibilité de visiter d'autres villes, en ne limitant plus le visa à la visite des lieux du pèlerinage. Les pèlerins vont prolonger leur séjour par la visite d'autres villes et parfois aussi, comme on le voit dans certaines offres proposées par les agences, par un séjour à Dubaï.