Le réseau téléphonique sur cuivre n'a pas dit son dernier mot. Alors que la fibre optique se déploie massivement, une autre technologie de très haut débit débute commercialement dans toute la France en ce mois d'octobre 2013 : le VDSL2.
La technologie promet de multiplier par trois le débit maximal sur réseau cuivre – de 28 mégabits par seconde (Mb/s) actuellement à 100 Mb/s en VDSL2 – pour un coût de quelques euros seulement par ligne.
Problème : les conditions d'éligibilité sont drastiques et le gain s'estompe dès qu'on s'éloigne de plus d'un kilomètre du répartiteur (la multiprise où sont raccordés les abonnés). Le gain ne concernerait que 16 % des lignes, selon les calculs du régulateur, l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), qui préfère tabler sur un débit de 50 Mb/s maximal plutôt que de 100.
Le passage au VDSL2 est effectué "gratuitement" par le fournisseur d'accès Internet (FAI), même s'il est souvent conditionné à la possession de la dernière box Internet, donc à l'offre liée. Tous les opérateurs présentent cette technologie comme une amélioration de l'ADSL, sans surcoût, donc ne justifiant pas une option supplémentaire payante. Ce lancement commercial fait suite à une expérimentation en Dordogne et en Gironde durant l'été. S'il n'est pas censé correspondre à une augmentation du prix, la surenchère sur les débits existe bel et bien.
Free, qui promet sur son site et dans un communiqué des débits pouvant aller jusqu'à 100 Mb/s, s'est fait épingler par l'Arcep dans un communiqué, publié mardi 1er octobre 2013, pour "le caractère partiel et parfois inexact" de ses annonces. Un cas unique. Il est reproché au FAI d'annoncer ouvertement des débits très difficilement atteignables en conditions réelles. "Dans son communiqué, Free explique en petites lettres que ce sont des débits atteints en laboratoire.
Avant l'attaque de l'Arcep, les concurrents de Free affichaient déjà une distance quant à l'optimisme technique de l'opérateur "trublion". "Les débits sont entre 15 et 50 mega pour la majorité des clients éligibles. Dire que 'le VDSL est égal à du 100 méga', c'est faux", déclarait, Aurélie Stock-Poeuf, directrice marketing unifié d'Orange France, qui évoque une "surpromesse".
"Le VDSL ajoute du confort à moins d'un kilomètre du répartiteur. Si on suit la nomenclature de l'Arcep, il n'y a pas de raison d'annoncer plus de 10 à 15 % de couverture avec des débits prétendus trois fois supérieurs. L'opérateur, qui annonce deux fois plus de débit à moins de 500 mètres ou des gains au-delà d'un kilomètre, devra prendre ses responsabilités. Ne trompons pas les clients", jugeait Franck Abihssira, directeur des Offres fixes, services et contenus de Bouygues Télécom.
Le VDSL2 intéresserait donc surtout les abonnés dans les villes peu denses, qui se trouvent proches du répartiteur. Et non les villes où beaucoup d'abonnés sont raccordés par un "sous-répartiteur" qui empêche d'utiliser la technologie, ni les zones rurales qui disposent de connexions ADSL au débit très faible et qui ne verraient pas de gain. L'amélioration concernerait finalement peu de clients.
Le fait qu'elle soit liée aux dernières box des fournisseurs d'accès pourrait-elle, tout de même, en faire un argument pour leurs dernières offres ? "Quand on est dans des agglomérations de taille moyenne ou plus petite, on peut imaginer qu'une bonne part des clients va bénéficier du VDSL2", veut croire Bouygues Télécom, qui propose uniquement sa BBox Sensation pour cette technologie.
"Nous avons plusieurs segments de clients : ceux très sensibles au débit (téléchargement, 'cloud' ou stockage en réseau), qui sont plutôt dans des zones très denses, couverts par une offre en fibre optique ou câble. Quand on va dans des zones moins denses, aux activités moins intenses, on peut s'interroger sur l'intérêt des clients pour ces débits" malgré leur meilleure éligibilité, détaille Franck Abihssira de Bouygues Télécom, qui lance son offre le 10 octobre. Le potentiel commercial d'une BBox Sensation en VDSL serait donc d'ores et déjà couvert par le forfait 'fibre' du FAI, qui offre de meilleures prestations au même prix.
Chez Orange, le VDSL2 est réservé à la Livebox Play, annoncée en novembre 2012. Elle est fournie dans un forfait à 39,90 euros par mois, soit 6 euros de plus que l'offre simple de l'opérateur. Comme il l'expliquait fin septembre, une très grande majorité des clients du FAI ne dispose pas de la dernière version de la Livebox. Le passage en VDSL2 correspond donc à une possible montée des prix pour les clients.
"On a huit mois d'historique sur la Livebox Play. Ca ne veut pas dire que tous les clients payaient 33,90 euros auparavant. Certains étaient sur des offres premium à 39,90 euros. Il y a une très large partie du parc qui peut passer à la Livebox Play sans surcoût", plusieurs dizaines de pourcents, selon la directrice marketing d'Orange France. Le gain serait donc à hauteur de l'investissement pour le FAI, peu important, même si l'évolution sera poussée en boutique et par téléphone aux clients éligibles.
Le VDSL2 peut-il aider les opérateurs à retarder le coûteux déploiement de la fibre optique ? A l'annonce de l'autorisation du VDSL2 par l'Arcep, l'une des craintes affichées par des associations et collectivités était que les opérateurs optent pour du VDSL2 dans les zones peu denses, donc peu rentables, plutôt était que d'amener la fibre optique. Une analyse que réfutent les opérateurs.
"On a une vision extrêmement claire : le VDSL et la fibre ne rentrent pas en concurrence, ni sur les usages, ni sur la couverture. D'après l'Arcep, seuls 6 % des lignes peuvent bénéficier plus de 30 mégabits/s, soit 1,9 million de foyers. C'est moins que le nombre de personnes éligibles à la fibre chez Orange !", indique la directrice marketing du FAI français. "C'est une bonne nouvelle pour les clients qui devront attendre des années avant d'avoir accès à la fibre. C'est une stratégie d'optimisation du réseau", modère encore l'opérateur.
La couverture est pourtant large. "On garde les pieds sur terre. On adopte le VDSL avec un peu plus de 5 000 répartiteurs couverts. A date, une très faible partie des clients ne sont pas couverts, même si je ne peux pas m'engager sur une couverture complète de notre réseau", explique la directrice marketing de l'opérateur historique. "Il y a très peu de décalage dans la couverture VDSL2 entre les quatre opérateurs nationaux.
Fin octobre, plus de 50 % de notre infrastructure dégroupée [possédée par l'opérateur] est équipée en VDSL2. En continuant à déployer, notamment avec nos partenaires, nous atteindrons le 100 % aux environs du second trimestre 2014", assure pour sa part Bouygues Télécom.
Interrogé par PC Inpact, SFR explique que les équipements déployés depuis la mi-2012 sont compatibles, et table sur une couverture complète également courant 2014.
Alors que l'Arcep s'alarme des promesses commerciales trop optimistes, les opérateurs ne semblent pas voir de gain évident à cette évolution à bas coût, qui pourraient au mieux convaincre quelques clients d'opter pour la dernière box en date. Les opérateurs affichent finalement le VDSL comme une technologie de transition vers le très haut débit, en majorité la fibre, ce malgré les craintes de nombreuses associations. La technologie, qui permet à une large partie de l'Allemagne d'accéder à l'Internet très haut débit pour un investissement réduit, serait donc limitée au rôle de second couteau en France, en attendant - encore et toujours - la généralisation de la fibre optique, tant voulue par le régulateur.a
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/10/02/a-qui-profitera-la-derniere-evolution-d-internet-sur-cuivre_3487433_651865.html