Les défenseurs des océans ont lancé une grande bataille : bannir la pêche en eaux profondes, une pratique controversée qui détruit l’écosystème des abysses.
Mardi 10 décembre 2013, le Parlement européen n'a pas interdit aux professionnels de remplir leurs chaluts tractés sur les fonds marins à plus de 200 mètres de profondeur, contrairement aux propositions de la Commission européenne.
Les députés ont tranché a minima comme leur avaient recommandé la France et l’Espagne – deux Etats gros pêcheurs en eaux profondes – et ont seulement restreint cette technique aux zones déjà exploitées.
Le chalutage de fond s’est développé dans les années 1980. Après une surexploitation des zones côtières européennes, puis des eaux des pays du Sud, le déclin s’est fait sentir. Les industriels se sont alors tournés vers la haute mer, investissant dans des navires-usines capables de remonter des chaluts raclant les fonds à 1 500 mètres, voire plus.
A l’échelle de la planète, les données manquent. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture est incapable de dire le nombre de pays qui pratiquent réellement la pêche dans les abysses. L’Union européenne est mieux dotée.
Selon Bruxelles qui tient des statistiques précises, la pêche profonde par chalutage et filet maillant représentait seulement, en 2011, 1,5 % des captures de l’Atlantique nord-est (47 000 tonnes), espace maritime privilégié des grands chalutiers.
En dépit de ces chiffres modestes, chercheurs et ONG n’en démordent pas : la pêche profonde doit être bannie car elle constitue une agression majeure pour l’écosystème marin. Pour six espèces principales commercialisées – lingue bleue, grenadier de roche, sabre noir, phycis de fond, dorade rose et béryx –, le chalut en ramasse des dizaines d’autres, rejetées par-dessus bord. Surtout, le filet endommage sur son passage coraux, éponges et racle les sols sédimentaires.
La pêche profonde s’attaque en outre à des poissons vulnérables dont les stocks prennent du temps à se régénérer. « Sur 30 espèces connues, nous avons observé une durée de vie moyenne de 36 ans et une maturité sexuelle à partir de l’âge de 12 ans. Cela n’a rien à voir avec un anchois qui peut se reproduire dès qu’il atteint un an », précise le biologiste Philippe Cury, spécialiste des écosystèmes marins à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Comme de nombreux scientifiques, le chercheur ne cesse d’alerter sur le déclin des populations des abysses. En 2007, l’Union européenne a dû interdire le prélèvement des poissons empereurs et des requins profonds parce qu’ils étaient menacés d’extinction.
Tout cela pour une pêche « à peine rentable » selon Bruxelles, et ce malgré les subventions dont elle bénéficie.
Pourquoi la France met-elle alors autant d’énergie à défendre un dossier qui la fait montrer du doigt par les ONG et la majorité des autres Etats membres ?
Au-delà des emplois et du lobbying de ports comme Lorient et Boulogne-sur-Mer (dont l’ancien maire n’est autre que Frédéric Cuvillier, ministre de la pêche), les marins craignent qu’à terme on leur interdise toute forme de chalutage, profond ou pas. Ce qui serait un désastre pour la profession.
Du côté du consommateur, les campagnes des défenseurs des océans commencent à peser. Certaines grandes enseignes – à l’exception d’Intermarché qui arme les navires de la Scapêche spécialisée dans le chalutage des grands fonds – ont entendu le message : Casino et Carrefour ont décidé d’arrêter de proposer sur leurs étals plusieurs des poissons qui nagent dans les grands fonds marins.
Extraits de : http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/12/10/pourquoi-la-peche-profonde-est-accusee_3528580_3244.html