Le gouvernement commence à consulter sur le sujet. C’était l’un des motifs de la visite de Bernard Hugonnier, un des grands experts de l’OCDE en matière économique de l’éducation et de la formation.
Le fait que la Tunisie ait devancé le Royaume sur ce sujet pique au vif l’esprit de compétition entre les deux pays, mais le plus important est qu’en tant que premier pays arabe à pratiquer le PISA, la Tunisie fait économiser aux autres la charge des traductions et adaptations.
«En fait, souligne l’expert de l’OCDE, chaque pays qui y entre, entre en même temps dans le Comité directeur, et donc participe à la rédaction des tests». Pas de souci donc avec les spécificités nationales, voire locales. Le mode de gouvernance du PISA les englobe naturellement.
Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves, le fameux PISA, a une quinzaine d’années. Il est né à l’intérieur de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, regroupant les pays les plus industrialisés. On aurait pu penser que ce travail d’évaluation des compétences aurait été mieux placé à l’Unesco. Mais cette dernière est déjà très engagée sur les programmes scolaires et les comparaisons qu’il est possible de faire d’un système à l’autre. Les travaux de l’Unesco soulignent d’ailleurs bien leur différence avec l’approche PISA qui, lui, cherche à mesurer des compétences acquises, à un âge donné.
PISA ne mesure pas les programmes scolaires, encore moins l’efficacité des enseignants. Bernard Hugonnier tient beaucoup à souligner cette différence… sauf que par rétroaction, les gouvernements, quand ils le peuvent, se servent de ces résultats pour améliorer les performances de leur système éducatif. Ils y obtiennent des effets divers.
Par exemple, l’Allemagne pensait, il y a 10 ans, que son système scolaire était l’un des meilleurs du monde et que, par voie de conséquence, ses jeunes étaient parmi les plus compétents au monde. Berlin est tombée de haut: les résultats de la toute première enquête ont classé ses jeunes dans le bas du tableau de l’OCDE. Un choc! Puis une reprise en main, souvent conduite pas les Landers et les enseignants eux-mêmes. Et Berlin remonte ses scores.
Le lien entre la compétence des jeunes et l’enseignement est certain, mais il n’est ni contrôlable ni univoque.
L’expert explique qu’il n’y a rien d’étonnant à cela: «Il n’y a pas très longtemps qu’on s’intéresse vraiment aux performances des systèmes éducatifs; l’éducation est une scène naissante pour les investigations scientifiques».
Serait-ce que les batailles de dogmes découragent l’approche scientifique?
Non, répond-il. Il compare à la science économique naissante des années 50 à 70. «Il y avait alors plus de dogmes politiques que de science, et puis, petit à petit, les instruments se sont améliorés et l’économie est devenue plus rationnelle et méthodique». Hugonnier s’attend à la même évolution pour la pédagogie et l’éducation. Il voit dans le PISA un instrument qui favorisera le mouvement. «Dans ce contexte où l’expérimentation scientifique est quasiment impossible, avoir un instrument fiable de mesure et de comparaison est un progrès inestimable».
Il explique aussi pourquoi cet instrument est parfois mal accueilli, tout en relativisant: «Le mauvais accueil se rencontre surtout en France, il est moins fort ailleurs». Parfois le PISA est vécu comme une grande chance pour tout le pays comme l’a montré l’exemple de l’Allemagne.
Il est logique que l’OCDE se soit emparée du problème d’évaluation: la compétitivité des pays est étroitement liée au niveau de compétence de sa population active.
L’enseignement a un coût qui, dans le cas du Maroc, est très élevé par rapport à son niveau de richesse: le tiers du Budget de l’Etat rien que pour ce qui dépend directement des deux ministères ad hoc. On compte aussi, rappelle Hugonnier, que la formation d’un étudiant dans l’enseignement supérieur marocain vaut 72% du PIB par tête. «L’effort national est donc très élevé», reconnaît l’expert, qui y voit une opportunité d’améliorer fortement le rendement, avec un coût économique plus ajusté.
L’expert y met néanmoins une condition: améliorer la formation des enseignants. 5 ans de formation supérieure, dont un an de terrain, lui paraissent un minimum: «La valeur d’un système éducatif ne peut pas être supérieure à celle des enseignants qui le servent». En revanche, il est moins préoccupé par le nombre d’enfants par classe, par les équipements scolaires… «C’est important, mais rien ne vaut l’homme ou la femme qui enseigne».
Les élites et le sous-développement endémique
Certes les PISA ne sont pas des évaluations des programmes scolaires, et pas non plus des évaluations des professeurs: l’OCDE le dit et le répète assez pour que la confusion ne se fasse plus. Mais on n’empêchera personne de se poser la question du lien entre un bon classement PISA et la fabrication d’une élite performante. Meilleurs sont les résultats, plus de chances ce pays aura d’avoir assez de personnes capables de prendre des responsabilités, plus il y aura de personnes pour oser innover et surtout plus il y aura de gens capables de bien gérer. Qu’il soit question des grandes affaires du pays ou de l’ensemble des petites choses qui font la vie quotidienne, tout pourra s’améliorer.
«Si les élites ne sont pas assez nombreuses, dit Bernard Hugonnier, alors le pays est condamné au sous-développement endémique». Et il explique: quand on manque d’élites on est obligé de confier des tâches à des gens qui ne sont pas capables de les prendre en charge. «C’est comme si on les confiait à des amateurs», il ne faut pas s’attendre à ce que ce soit bien fait, ni s’attendre à ce que les groupes sociaux progressent. En effet, ces «amateurs» n’ont ni l’autorité, ni la compétence technique, morale ou politique qu’il faudrait pour faire progresser leur environnement.
Pour qu’un pays se développe bien, quel taux d’élites lui faut-il?
Là encore, l’OCDE et l’Unesco ont des propositions à faire. Hugonnier rapporte que des pays comme la Finlande, la Corée ou le Japon comptent entre 11 et 13% d’élites parmi leur population totale. «Mais attention, prévient-il, il ne faut pas croire que diplôme veut dire élite, ni qu’élite signifie automatiquement diplôme», même s’il y a forcément un lien.
La France, la Grande-Bretagne ou les Etats Unis sont plutôt dans les 8 à 10%. Quant au Mexique, il tourne à seulement 1%.
Et le Maroc? Apparemment, il n’y a pas eu d’études. Il existe bien quelques livres sur le sujet (Benhaddou, Vermeren…), mais ce sont des pamphlets politiques. Il n’est pas interdit de penser que l’existence de ces pamphlets vient justement du fait que, manquant d’élites, le Maroc soit obligé de se rabattre sur les amateurs, selon le processus expliqué par Hugonnier. Avec la décrédibilisasion qui en découle.
Extraits de www.leconomiste.com