Septembre 2012 : Visite de Juan Mendez, le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture (un ancien détenu politique sous la dictature militaire en Argentine), avec un rapport à la clé sur la pratique de la torture dans notre pays. Le rapporteur onusien s’est dit particulièrement «préoccupé par la loi antiterroriste (n° 03-03), par le délai de garde à vue pouvant aller jusqu’à trois périodes consécutives de 96 heures sans possibilité d’accès à un avocat, sauf pour un entretien sous surveillance d’une demi-heure à mi-période».
Octobre 2012, le CNDH produit son fameux rapport thématique sur l’état des prisons, après enquête sur le terrain de plusieurs semaines, pour dénoncer les «dysfonctionnements» qui entachent le système pénitentiaire marocain:
traitements cruels et dégradants des prisonniers, situation précaire des femmes et des mineurs, encombrement dans les prisons, avec «la persistance d’exactions à l’encontre des détenus commises par le personnel des prisons visitées, ce qui constitue, selon le rapport, une violation des lois régissant les établissements pénitentiaires et de toutes les conventions pertinentes qui considèrent de tels agissements comme des formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants.
9 décembre 2013 : Déclaration de Driss El Yazami, président du Conseil national des droits de l’homme (CNDH): «L’année 2014 sera celle de la fin de la torture». Cette déclaration a été faite à l’occasion de la visite au Maroc du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (GTDA).
Juin 1993 : Le Maroc a adhéré à la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, mais il fallait pour être en règle avec ses engagements internationaux ratifier le protocole facultatif se rapportant à cette convention.
La Constitution de 2011 condamne clairement «la torture, la détention arbitraire et la disparition forcée.
Février 2013 : Le Parlement marocain finit par voter ce protocole, pour qu’il soit enfin publié au Bulletin officiel (N° 6166 du 4 juillet 2013).
Le dépôt des instruments de ratification auprès des organes onusiens. Créer un mécanisme indépendant pour la prévention de la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Lequel mécanisme est censé faire le suivi de l’application de cette convention, et effectuer des visites régulières et impromptues aux lieux de détention, l’un des moyens jugés selon l’Association de prévention de torture (APT) «les plus efficaces pour prévenir la torture et autres formes de mauvais traitements, dans le respect de la dignité humaine».
L’APT est un organisme international qui soutient les gouvernements, les systèmes judiciaires, les institutions des droits de l’homme et la société civile dans le monde entier à lutter contre la torture. Il a d’ailleurs tout un programme de monitoring des lieux de détention qui offre des formations et une expertise sur la méthodologie des visites, élabore des outils pratiques et facilite le partage d’expériences.
Quels lieux contrôler ? Il n’y a pas que les centres de police, constate l’APT, qui devront être contrôlés, mais aussi : les hôpitaux psychiatriques, les centres de détention pour migrants..., tous les lieux «où il y a des êtres vulnérables et particulièrement exposés aux violations des droits de l’homme». Le moyen de contrôle le plus efficace consiste en des visites indépendantes de centres par le mécanisme créé à cet effet, car, comme le décrit l’APT, «la personne détenue dépend presque entièrement des autorités et des agents publics pour sa protection, ses droits et ses besoins essentiels. La personne privée de liberté a des moyens très limités, voire inexistants, d’influencer son propre sort.
Dans pareille situation, il existe un risque inhérent d’abus. Les visites de contrôle indépendantes visent à réduire et atténuer ce risque». Ce type de visites réduit les risques d’usage de la torture et autres mauvais traitements, mais, faut-il le souligner, contribue également à consolider la confiance du public envers les institutions.
Des caméras dans les commissariats ? Comme c’est pratiqué dans nombre de pays ayant ratifié le protocole facultatif de la convention internationale contre la torture, l’installation de caméras dans les salles d’interrogatoire. Ce système, par expérience, a permis dans les pays l’ayant adopté une «diminution des cas de torture de 80%», selon plusieurs estimations.
M. El Yazami, dans la même déclaration où il a promis la fin de la torture en 2014, aura parlé aussi du système des caméras dans les centres de police.
Mécanismes de plainte contre la torture jugés «ni efficaces ni indépendants» : A la suite de la visite de Juan Mendez, rapporteur spécial de l’ONU sur la torture en septembre 2012, un rapport a été produit. Il dénonçait les mécanismes de plainte actuellement en place.
Le rapporteur avait recommandé aux autorités marocaines d’accepter «à tout stade du procès, les allégations de torture et de mauvais traitements». Il a demandé que les tribunaux soient «tenus d’ouvrir d’office une enquête lorsqu’il y a des motifs raisonnables de croire que des actes de torture ont été commis ou que des mauvais traitements ont été infligés».
La loi antiterroriste n°03-03 de 2003 : Votée quelques jours seulement après les attentats du 16 mai 2003, la loi antiterroriste est jugée «liberticide» par les défenseurs des droits de l’homme.
La caractérisation de l’incitation au terrorisme n’est pas suffisamment bien définie par cette loi.
La période de garde à vue que cette loi impose est jugée ensuite excessive et contraire aux droits de l’homme : 3 périodes consécutives de 96 heures sans possibilité d’accès à un avocat. La longueur de la période de garde à vue, ce qui crée en soi des occasions de torture.
La loi ne contient pas de définition précise du terrorisme, pourtant requise par le principe de légalité des infractions, et inclut les délits d’apologie du terrorisme et d’incitation au terrorisme, qui pour être constitués, ne doivent pas forcément être liés à un risque concret d’action violente.
Le Comité de l’ONU rappelle, en outre, à l’Etat marocain que «les mesures de lutte contre le terrorisme doivent être appliquées dans le plein respect du droit international relatif aux droits de l’homme».
Plus de 10 ans après son adoption, la loi antiterroriste est plus que jamais dénoncée et sa révision est à l’ordre du jour, d’après le contenu même de la Constitution de 2011, vu les dépassements qu’elle induit. Comme la non-vérification des déclarations des prisonniers sur les tortures qu’ils auraient subies lors de leurs interrogatoires et de leurs aveux dans les locaux de la police et de la gendarmerie. En réaction à cela, le ministre de la justice et des libertés Mustapha Ramid a considéré que la loi antiterroriste sera révisée et que le dialogue sur la réforme de la justice a recommandé d’enregistrer les interrogatoires, sachant que la torture n’est plus une pratique systématique au Maroc.
Les tortionnaires vont ils se convertir dans La torture «propre» ou «psychologique» |
Torturer quelqu’un ne nécessite pas forcément de recourir aux pires sévices physiques. Il existe un autre type de torture, dite «blanche», voire «propre», plus souvent «psychologique».
Interdite par le droit international, elle détruit ses victimes aussi efficacement que la torture physique.
De quoi s’agit-il exactement? Ce sont des méthodes qui n’agressent pas directement le corps – comme c’est le cas avec l’électrocution, les coups et les brûlures – mais qui s’attaquent aux sens et aux spécificités culturelles et/ou sexuelles de la victime.
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Mise à l’isolement,
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positions de stress,
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privations sensorielles,
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simulacre d’exécution,
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humiliations
font partie de ces techniques. Elles vont souvent de pair avec la torture physique: on oblige quelqu’un à se tenir face au mur sur la pointe des pieds pendant des heures, sous peine d’être frappé.
Des techniques qui prêtent parfois à sourire
La mise à l’isolement, souvent utilisée – elle concerne 80.000 personnes sur le territoire américain, selon Acat -, est peut-être ce qui brise le plus durablement. Elle détruit toute capacité de socialisation après la libération. On perd sa famille, son travail, ses amis, sa confiance en soi…
Une autre forme de torture psychologique provoque elle aussi des conséquences dévastatrices: ce que les détenus vivent comme un viol. A Abou Ghraïb et Guantanamo, des détenus musulmans ont été dénudés et obligés de simuler des actes sexuels. D’autres ont été interrogés par des femmes en soutien-gorge, ou soumis à l’écoute à très haut volume de certains morceaux de musique - comme ceux d’AC/DC, Queen, Metallica, Christina Aguilera ou encore Bruce Springsteen, tous ayant été fréquemment utilisés à Guantanamo.
Ces deux dernières techniques prêtent parfois à sourire. C’est le piège. «Sur les forums, la première réaction des gens c’est d’en plaisanter. Ils disent que certains paieraient pour être interrogés par des femmes en petite tenue, ou bien ils s’amusent à citer un artiste qu’ils n’aiment pas et dont écouter la musique serait, selon eux, une vraie torture, explique Jean-Etienne de Linares, délégué général d’Acat. La torture apparaît ainsi comme un sujet de rigolade. Et si c’est drôle, c’est que ça n’en est pas vraiment... Ces réactions participent de la banalisation de l’acte de torture», déplore-t-il.
Les Occidentaux (Etats-Unis, Canada, Grande-Bretagne et Allemagne de l’Ouest notamment) se sont intéressés à la torture psychologique après la Seconde Guerre mondiale en prenant exemple sur les Russes, qu’ils considéraient comme les maîtres du «lavage de cerveau». La méthode a été théorisée et expérimentée sur des étudiants volontaires, puis sur des prisonniers.
La torture psychologique présente un double avantage, selon ceux qui la pratiquent: elle ne laisse pas de trace visible – rendant tout recours devant la justice encore plus difficile – et elle est perçue comme étant plus acceptable, à la fois par l’opinion publique, qui a tendance à considérer que ce n’est pas vraiment de la torture, et par les bourreaux. La torture «propre» a encore de beaux jours devant elle.
*Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture)
Qu’entend-on exactement par le terme «torture»?
Selon la Convention internationale de l’ONU contre la torture, adoptée le 10 décembre 1984, le terme «torture» désigne «tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.»
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