Les remontrances de la Chine n’y sont sans doute pas étrangères. Le gouvernement espagnol s’apprête à tirer un trait sur le principe de “juridiction universelle” qu’avait défendu l’ancien magistrat Baltasar Garzon lorsqu’en 1998 il avait lancé un mandat d’arrêt contre l’ex dictateur chilien Augusto Pinochet.
Selon ce principe, dans les cas de crimes contre l’humanité, de guerre ou de génocide, les juges espagnols sont compétents pour mener des enquêtes hors de leurs frontières. Ce qui n’est pas sans provoquer ponctuellement des tensions diplomatiques dont se passerait bien Madrid.
Dernières en date : en novembre, Pékin a exprimé son “profond malaise” après qu’un juge espagnol a lancé un mandat d’arrêt contre cinq dirigeants communistes chinois, dont l’ancien président Jiang Zemin, après une plainte concernant le “génocide tibétain.”
« Nous souhaitons que les autorités espagnoles prennent au sérieux l’inquiétude chinoise et ne fassent rien qui porte préjudice à ce pays ou endommage la relation entre la Chine et l’Espagne, » avait alors déclaré le ministre des affaires étrangères chinois.
Deux mois plus tard, le 23 janvier, le Parti populaire (PP, au pouvoir) a pris acte de ces menaces et déposé une proposition de loi limitant les compétences des juges aux crimes impliquant au moins un accusé de nationalité espagnole ou résidant en Espagne.
Des enquêtes sur le bombardement de Gaza ou les tortures à Guantanamo
En 2009, déjà, après les tensions provoquées avec Israël du fait de l’ouverture d’une enquête sur le bombardement de Gaza de 2002, et alors qu’un autre juge enquêtait sur les tortures à Guantanamo, le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero avait limité les compétences des juges. Depuis cette date, il leur fallait disposer de la plainte d’au moins une victime espagnole, et il ne pouvait poursuivre les crimes que dans les pays où aucun tribunal n’avait jamais ouvert d’enquête.
Avec la réforme que prépare le PP, c’est la fin d’un principe juridique salué par les victimes des crimes des dictatures chiliennes et argentines, qui ont commencé en Espagne leur combat pour faire juger les tortionnaires des anciens régimes militaires latino-américains.
Réforme express
Le gouvernement espagnol a l’air, lui, particulièrement pressé de s’enlever une épine du pied. Pour accélérer les démarches, et pour la première fois depuis le début de la législature, cette mesure a été présentée via une proposition de loi du PP au Parlement, et non via le conseil des ministres. Une façon d’éviter de demander des rapports au conseil de la magistrature ou au conseil d’Etat. Selon El Pais, la réforme pourrait ainsi entrer en vigueur dans les deux prochains mois.
Actuellement, plusieurs affaires relevant du principe de “juridiction universelle” sont instruites par l’Audience nationale en Espagne. Le gouvernement pourrait ainsi, grâce à cette réforme, annuler les plaintes :
- contre des soldats américains pour la mort du caméraman José Couso lors de la guerre en Irak ;
- contre des militaires du Salvador pour l’assassinat en 1989 de plusieurs moines jésuites espagnols ;
- contre des anciens dirigeants politiques du Guatemala pour génocide et tortures contre la population maya ;
- contre d’anciens cadres du régime rwandais ;
- contre le régime marocain pour les crimes commis contre la population sahraouie.