Je voulais commencer cette nouvelle rubrique par quelque chose de positif mais l’actualité est sans pitié. La décision regrettable des suisses ne sera pas sans effet ailleurs : l’intolérance appelle l’intolérance et des partis d’extrême droite du reste de l’Europe ont répondu présent :
En France, la vice-présidente du Front national, Marine Le Pen s’est félicité du vote suisse, elle a demandé aux "élites de cesser de nier les aspirations et les craintes des peuples européens, qui rejettent les signes ostentatoires des groupes politico-religieux musulmans, souvent à la limite de la provocation".
Pour le parti flamand d'extrême droite, en Belgique, et le Parti pour la liberté, aux Pays-Bas : dès dimanche, leurs responsables ont annoncé leur intention de déposer des propositions visant à interdire la construction de minarets. Il s'agit, pour le député flamand Filip Dewinter, de donner aux musulmans un "signal qu'ils doivent s'adapter à notre manière de vivre et non l'inverse".
Réaction des pays musulmans
La principale organisation musulmane d'Indonésie a dénoncé, lundi, le résultat du référendum suisse interdisant désormais la construction de minarets, y voyant un signe de "haine" et d"'intolérance" vis-à-vis de l'islam. Le chef de la Nahdlatul Ulama (NU), Maskuri Abdillah, a cependant appelé les musulmans d'Indonésie, plus grand pays musulman au monde, à "ne pas réagir avec excès" à la décision des Suisses. Près de 90 % des 234 millions d'Indonésiens sont musulmans. La NU, qui représente l'islam traditionnel, compte environ 40 millions de membres.
Le mufti d'Egypte, Ali Gomaa, a dénoncé dimanche le résultat du référendum suisse. "Ce résultat du référendum (...) n'est pas une simple atteinte à la liberté religieuse, c'est aussi une insulte aux sentiments de la communauté musulmane en Suisse comme ailleurs", a-t-il déclaré. Le mufti, a aussi encouragé les 400 000 musulmans vivant en Suisse à "dialoguer" avec les autorités suisses et à utiliser les moyens légaux pour contester le résultat du référendum de dimanche.
La Grande Mosquée de Lyon a déploré, dimanche, le résultat "désolant" du référendum, appelant musulmans et démocrates à réagir pour éviter que ce vote ne devienne une loi. "Il s'agit d'un vote d'intolérance, tournant le dos aux bases juridiques les plus constantes qui, à travers le monde, garantissent la liberté de religion", a fait savoir dans un communiqué Kamel Kebtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon. "J'appelle à une réaction de tous les musulmans, des fidèles de toutes les religions, et de tous les démocrates, au niveau européen, pour s'opposer à ce que ce vote, contraire aux fondements du droit, devienne une loi", a-t-il encore écrit.
L'intellectuel musulman Tariq Ramadan a jugé "catastrophique" le résultat du référendum. "les Suisses ont exprimé une vraie peur, un questionnement profond sur la question de l'islam en Suisse".
Le Conseil des droits de l'homme des Nations unies, dont le siège est à Genève, a également fait part de sa préoccupation.
Le Premier ministre turc, M. Erdogan : Il s’agit du reflet de la montée d’une vague de racisme et de l’extrême droite en Europe (…). L’islamophobie est un crime contre l’humanité.”
Les faits
"La construction de minarets est désormais interdite en Suisse", a annoncé le gouvernement helvétique dans un communiqué officiel publié seulement 4 heures après la fermeture des bureaux de vote, à midi. "Les 4 minarets existants ne sont pas concernés", ont précisé les autorités.
Ce vote va également entraîner la modification de la Constitution suisse, dont le préambule proclame, "au nom de Dieu Tout-Puissant", l'esprit "de solidarité et d'ouverture au monde" du peuple et des cantons suisses. L'interdiction de la construction de minarets sera présentée dans l'article 72 de la Constitution sur les relations entre l'Etat et les religions comme une mesure "propre à maintenir la paix entre les membres des diverses communautés religieuses".
Le parti des Verts a déclaré envisager de présenter un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg pour violation de la liberté religieuse garantie par la Convention européenne des droits de l'homme.
La Confédération helvétique compte plus de 300 000 musulmans, soit 4 % de la population. Elle possède plusieurs centaines de mosquées, mais une minorité sont dotées de minarets. La controverse est née de l'augmentation des demandes de permis de construire. Pour les partisans du "oui", qui font valoir la liberté de culte garantie par la Constitution, les minarets n'ont pas de justification religieuse puisqu'ils ne sont pas mentionnés dans le Coran.
Plausible explication
Religion aux rituels ancrés dans la vie quotidienne, en termes d'alimentation, de prière ou de tenue vestimentaire, avec le voile pour les femmes, l'islam s'est installé dans des pays marqués par une forte sécularisation et une inexorable déchristianisation. Ces pratiques religieuses ostensibles heurtent d'autant plus qu'elles émergent dans un contexte où la place de la religion jusque-là dominante, le christianisme, n'a jamais été aussi faible.
En outre, l'immense majorité des fidèles musulmans, soucieuse d'adaptation et d'intégration aux sociétés ambiantes, est régulièrement desservie par des groupes intransigeants et revendicatifs, dont certaines demandes (port du voile intégral, refus de la mixité…) semblent exorbitantes aux sociétés qui les accueillent.
Il faut bien reconnaître que, face à ces phénomènes, la communauté musulmane, souvent encore peu organisée, paraît incapable de réguler ces comportements. Les tenants d'un islam européo-compatible ne demandent pourtant qu'à être confortés dans leurs efforts d'intégration par la construction de lieux de culte dignes et la reconnaissance de besoins cultuels et culturels (carrés musulmans dans les cimetières, fêtes religieuses…).
Or, ce ne sont pas les stigmatisations empreintes de populisme, telles que le vote anti-minarets en Suisse ou l'offensive politique anti-burqa en France, qui aideront les "modérés" à faire sereinement accepter l'islam pour ce qu'il est désormais : la deuxième religion d'Europe.
L'exclusion et la discrimination sont, en revanche, les meilleurs terreaux pour un radicalisme, un repli communautaire et une ghettoïsation, potentiellement beaucoup plus explosifs.