En l'espace de quelques semaines, ce sont ainsi une trentaine de religieux, Américains, Coréens, Néerlandais... qui ont été priés de quitter sans délai le territoire marocain. Du jamais-vu. 16 de ces personnes travaillaient dans le Village de l'espérance, un orphelinat situé à Aïn Leuh, (province d'Ifrane) dans l'Atlas. Depuis plusieurs années, le centre s'occupait d'enfants défavorisés ou orphelins, et avait même obtenu les agréments officiels pour cela. Ils ont eu 2 heures pour rassembler leurs affaires.
Avant cela, il y a eu l'expulsion d'un Américain - installé au Maroc depuis 22 ans ! - à Amizmiz, au pied du Haut Atlas. Après, il y a eu les refoulés, ceux qui, de retour de congés, n'ont même pas pu sortir de l'aéroport. C'est le cas notamment d'un pasteur sud-africain de Fès. Ou bien du président de l'organisme qui chapeaute l'école américaine George-Washington.
Tous sont soupçonnés d'"ébranler la foi des musulmans", un délit de prosélytisme inscrit dans la loi marocaine et puni de six 6 à 3 ans de prison.
Selon plusieurs sources, religieuses et étatiques, le Maroc compterait aujourd'hui plus de 500 missionnaires. Mais nul ne peut justifier le choix des personnes visées ces dernières semaines, et nul ne peut expliquer, pas plus que les motifs exacts, les dates de cette vague d'expulsions. Point commun : départ forcé, sans motif clair, pas de recours possible
D'autres incidents se sont produits au cours de la même période.
Pour la première fois, des policiers marocains ont pénétré dans l'enceinte d'un temple protestant à Marrakech pour y arrêter deux hommes. La police a reconnu son erreur et s'est excusée.
L'inquiétude grandit dans la communauté chrétienne, essentiellement étrangère (le nombre de chrétiens marocains ne dépasse pas 1 000 à 2 000 personnes, contre 30 000 chrétiens étrangers).
Les conversions sont rarissimes, et pour cause. Les chrétiens marocains sont tout juste tolérés, à la condition qu'ils pratiquent de façon quasi souterraine leur foi et s'ils ne se réunissent pas à plus de 20 personnes.
Khalil Naciri, ministre de la communication, porte-parole du gouvernement marocain justifie tout en reconnaissant 27 expulsions, "16 à Aïn Leuh et 11 autres éparpillés dans le pays". "La procédure juridique a été écartée, déclare-t-il au Monde, car nous voulions que cela se fasse de la façon la plus "soft" possible : un procès aurait immanquablement débouché sur des emprisonnements."
Pour le ministre, "si cela se produit maintenant, c'est qu'il a fallu faire des enquêtes pour être sûr des faits : nous disposons de CD, de livres, de cassettes, cela devenait du catéchisme. Pour le reste, le Maroc n'a pas changé de cap, les églises ont toujours pignon sur rue." Les autorités marocaines affichent d'autant mieux leur fermeté qu'elles ont, au nom d'un islam "modéré" que le royaume entend promouvoir, durement réprimé des musulmans extrémistes.
Des centaines d'écoles coraniques auraient été ainsi fermées. "Nous avons été très sévères contre eux, contre les chiites, plaide M. Naciri, et il y a moins d'un an, nous avons fermé l'école irakienne de Rabat." Le porte-parole du gouvernement ajoute : "Les pouvoirs publics ont le devoir de rester en phase avec leur opinion publique. Nous ne pouvons pas nous permettre de jouer avec le feu."
Le ministre de l'intérieur a promis de nommer bientôt un wali ("préfet") avec pour mission de devenir un interlocuteur des chrétiens.