Deux ans maintenant que les consommateurs peuvent choisir leur fournisseur d'électricité, peu de particuliers l'ont choisie. C'est la conclusion de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) dans le rapport annuel 2008. C'est aussi l'avis de la commission Champsaur, chargée d'un état des lieux et de recommandations sur "l'organisation du marché de l'électricité" en France.
Au centre des débats : le maintien des tarifs réglementés (fixés par l'Etat), que seul l'opérateur historique EDF peut aujourd'hui pratiquer. Ces tarifs, en général plus bas que ceux du marché libre. Le gouvernement n'a pas l'intention de les remettre en cause, pour les particuliers du moins. Le gouvernement fera connaître dans quelques semaines les suites qu'il entend donner aux conclusions du rapport.
La Commission Champsaur préconise leur maintien, pour les particuliers, pendant environ 10 ans. Dans son premier rapport annuel, publié mardi 28 avril, le Médiateur national de l'énergie (créé par la loi en 2006) va dans le même sens et suggère de l'étendre pour le gaz.
La France est le pays dans lequel les conditions de réversibilité sont les plus restrictives et les plus complexes. Faciliter les allers-retours entre tarifs réglementés et libres est susceptible d'encourager plus de consommateurs à changer de fournisseurs.
Mais une concurrence saine suppose une bonne information. Si les industriels connaissent leur profil de consommation heure par heure et peuvent donc faire jouer la concurrence, sur les heures de pointe par exemple, les particuliers et les petits professionnels (artisans, commerçants...) sont dans le brouillard, tant qu'ils ne disposent pas de compteurs "communiquants" appelés à équiper les 35 millions de points de livraison de l'électricité en France. Dès lors, la fourniture de courant relève pour eux des services d'intérêt économique général au regard du droit bruxellois et les tarifs peuvent rester contrôler par l'Etat. La commission Champsaur propose néanmoins que tous les fournisseurs puissent proposer ces tarifs et que les clients puissent aller des offres réglementées aux offres libres et réciproquement".
Derrière les tarifs il y a, en fait, l'avantage compétitif que la rente nucléaire procure à EDF et qui fausse les règles du jeu de la concurrence. En France, près de 80 % de l'électricité sort des réacteurs d'EDF, l'une des moins chères d'Europe. Si les prix sur le marché libre reflètent plutôt les prix européens, calés sur le kilowatt-heure produit par la dernière centrale construite (souvent un cycle combiné gaz), les prix régulés payés par la majorité des foyers sont assez bas grâce aux centrales nucléaires construites entre le milieu des années 1970 et la fin des années 1990. Au seul bénéfice d'EDF.
Pour l'heure, les fournisseurs alternatifs (Poweo, Direct Energie...) sont pénalisés. Leur viabilité économique ne sera pas assurée à moyen terme sans un accès à la production nucléaire d'EDF, assurent leurs dirigeants. Certains ont saisi les autorités de la concurrence, mais n'ont qu'en partie obtenu gain de cause. Les différents dispositifs de réglementation des prix ne (leur) laissent aucun espace économique pour mettre en place des innovations, comme des boîtiers de suivi en temps réel des consommations, note la commission.
Elle propose une solution de transition sur une dizaine d'années : chaque fournisseur aurait "un droit d'accès à l'électricité de base à un prix régulé reflétant les conditions économiques du parc nucléaire" (exploitation, maintenance, allongement de la durée de vie des centrales...). Ces quotas devraient évoluer en fonction de l'activité des fournisseurs. Les mettre "sur un pied d'égalité" permettrait de déboucher sur "un fonctionnement efficace du marché".
Au-delà de ces 10 ans, la concurrence pourra jouer si le nucléaire bénéficie à tous. Et si des compteurs intelligents permettent aux particuliers de suivre leur consommation et de choisir le meilleur fournisseur, affirment les partisans de la libéralisation.
A partir de 2020 se posera pourtant la question du renouvellement du parc des 58 réacteurs nucléaires, rappelle le PDG d'EDF. Les prix actuels n'intègrent pas cette contrainte. Il plaide discrètement pour une hausse des tarifs régulés supérieure à l'inflation, en soulignant que les tarifs fixés par l'Etat ont baissé de 40 % en monnaie constante au cours des 25 dernières années.