Cette question sémantique suscite, depuis le début de l'année 2010, des tensions interreligieuses en Malaisie. La Malaisie est un pays de 28 millions d'habitants a majorité musulmane et qui compte aussi une forte minorité de chrétiens (9 % de la population, dont 850 000 catholiques). La Constitution y garantit la liberté de culte.
Les violences ayant eu lieu dans ce pays sont liées à la polémique sur l'emploi du mot "Allah" par des non-musulmans. La dispute s'est emballée le 31 décembre 2009, date à laquelle la Haute Cour de Malaisie a autorisé un journal catholique, Herald-The catholic Weekly, édité en 4 langues et tiré à 14 000 exemplaires, à utiliser ce mot pour désigner Dieu. Le journal utilise le terme d'"Allah" dans son édition destinée aux fidèles de langue malaise de l'île de Bornéo.
Alors que dans la plupart des pays arabophones le mot "Allah" désigne à la fois le mot "dieu" et le Dieu de l'islam, et est utilisé par les non-musulmans, les musulmans malaisiens ont considéré que l'emploi de ce terme par les chrétiens était susceptible de créer de la confusion et de favoriser le prosélytisme. "Allah n'appartient qu'à nous", scandaient des fidèles à la sortie des mosquées de Kuala Lumpur, vendredi.
Face au risque d'embrasement entre communautés, le gouvernement a fait appel de la décision de justice et obtenu, le 6 janvier, la suspension de l'autorisation accordée aux chrétiens par la Haute Juridiction.
Dans son appel, le gouvernement du premier ministre, Najib Razak, au pouvoir depuis avril 2008, s'est référé à une décision du Haut Conseil national de la fatwa de 2008, statuant que le mot "Allah" ne pouvait être utilisé que par des musulmans.
Des membres de l'opposition, notamment le Pan-Malaysian Islamic Party, ont accusé le parti au pouvoir, l'Organisation nationale malaise unie (UMNO), de chercher à politiser le sujet. Le premier ministre a condamné les attaques de vendredi contre les Eglises et a annoncé le renforcement de la sécurité autour des lieux de culte chrétiens. Il s'est rendu dans une des églises endommagées, samedi. "L'islam nous interdit d'insulter ou de détruire toutes les autres religions, que ce soit physiquement ou en s'attaquant aux lieux de culte", a-t-il déclaré. Son appel au calme n'a visiblement pas été entendu.
Elu avec le plus mauvais score de son histoire en 2008, la coalition est au pouvoir depuis 52 ans. Les minorités ethniques et religieuses dénoncent régulièrement l'islamisation de la société et les discriminations sociales dont elles se disent victimes. Le père Lawrence Andrew, directeur du journal catholique au coeur de cette polémique a jugé, vendredi, que s'il n'y avait "pas de danger immédiat", la situation demeurait "inquiétante".
Au Vatican, Mgr Robert Sarah, préfet de la congrégation pour l'évangélisation des peuples, s'est inquiété sur Radio Vatican, vendredi : "Je pense qu'il existe réellement une volonté d'anéantir les chrétiens, de les ignorer, de refuser d'admettre qu'ils ont une foi en Dieu. Le fait qu'il leur soit interdit de prononcer le nom de Dieu revient à les considérer comme des païens qu'il faut donc convertir à l'islam."