A80 ans, Gina Palmeri, veuve d’un ancien ouvrier de l’usine Alstom, avertit : «Si les bulldozers viennent, ils m’emmèneront avec la terre.». Comme les 46 autres jardins ouvriers de l’usine Alstom, son potager doit être évacué .
Installée à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, depuis 1920, «l’Alstom» fait partie du paysage audonien. Mais en 2004, l’usine délocalise sa production. Le promoteur immobilier Nexity rachète alors 18 hectares de terrain à Alstom-Areva, dont ces jardins ouvriers, dans le cadre
du projet d’aménagement des docks de Saint-Ouen : 100 hectares de parc, bureaux, commerces et logements.
Un groupe d’anciens salariés d’Alstom crée alors «l’association des jardins ouvriers de Saint-Ouen» qui, sans rejeter le besoin d’évolution de la ville, tente de protéger les parcelles des ambitions de l’acquéreur.
Mohamed Eddoukali, son président, a su rassembler les divers acteurs de la vie politique locale. Depuis 2005, il a obtenu plusieurs sursis.
Après 32 ans chez Alstom comme technicien, et presque autant d’années d’activité syndicale, il est parti en préretraite en 2005 à la faveur d’un
énième plan social. Son combat dépasse le simple maintien des parcelles pour s’inscrire dans la mémoire ouvrière. Il voudrait faire reconnaître
ces jardins comme un patrimoine, celui du Saint-Ouen industriel, du temps des luttes syndicales et des utopies sociales. Mais il est pragmatique:
«construire des bureaux, c’est créer de l’emploi. On ne peut pas lutter contre ça! On a réussi à s’immiscer, c’est déjà un miracle.»
Pour les retraités, la vie dans ces jardins permet de maintenir un lien social autant qu’une activité physique. C’est aussi un retour aux
racines paysannes pour les nombreux «déracinés », venus, des années plus tôt, du Portugal, d’Algérie ou des Vosges chercher un travail en Ile de France. Ils ne sont plus qu’une cinquantaine à profiter du lieu. Certains sont décédés, d’autres sont repartis, pour leur retraite, dans leur province ou leur pays d’origine.
Nexity a posté un gardien à l’entrée: ne rentre plus qui veut. On est loin des années 1960 durant lesquelles, raconte «Pierrot», «400 à 500 personnes venaient tous les soirs, tous les week-ends» et où «oies et cochons» étaient nourris avec les restes de la cantine. José Magalhaes travaillait aux «transfos ». Il passe ses journées à biner la terre et ne s’imagine pas un instant au bistrot ou enfermé dans son appartement. Il doit pourtant quitter les lieux.
Seuls ceux dont les parcelles ont été attribuées par le comité d’entreprise d’Alstom et qui sont «conventionnés» par Nexity pourront, à terme, garder un coin de verdure. Puis, à mesure que leurs propriétaires disparaîtront ou renonceront à cultiver, les parcelles passeront dans le domaine public et deviendront des jardins partagés, à vocation pédagogique. «Ceux qui seront encore là en 2013, à la fin des travaux, c’est
pas grand monde», résume un jardinier. A l’entrée du terrain, planté bien droit dans la terre, un panneau de Nexity rappelle à ceux qui voudraient que le temps s’arrête : «La ville avance.